Des mots pour LE dire !…
Giotto, 1603-1605, Chapelle de Scrovegni, Padoue. Source Wikipedia, domaine public
Méditation de Valérie Barbier, responsable de la Commission diocésaine d’Art Sacré de Toulouse :
Cette scène peinte à fresque (c’est-à-dire sur un enduit frais) fait partie d’un vaste ensemble commandé à Giotto par un riche marchand padouan Enrico Scrovegni pour la décoration de la chapelle de son palais, cette réalisation est considérée comme étant l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art occidental.
Jésus y est représenté monté sur une ânesse, il bénit la foule de la main droite. La présence d’un ânon presque en filigrane sur le côté, nous indique que Giotto s’est inspiré de l’évangile de Matthieu. Ce détail concernant la monture du Christ n’est pas anodin puisqu’il est rapporté dans les quatre évangiles pour rappeler une prophétie de Zacharie qui évoque un Roi glorieux monté sur un ânon, venu apporter la paix aux Nations (Za 9,9)
Le style de la composition de Giotto est encore proche du modèle byzantin lui-même inspiré des triomphes romains, ces cérémonies où le général victorieux défilait dans Rome à la tête de ses troupes. Ici pas de lauriers d’or mais une couronne d’épines, pas de fougueux destrier mais une simple ânesse, tels sont ou seront les attributs de ce Roi.
Au-dessus du Christ dans le ciel d’azur, l’artiste a représenté deux personnages coupant des branches aux arbres pour les jeter sur le chemin (Mt 21, 8). Ils sont vêtus de vêtements blancs, la couleur de la sainteté. Certains auteurs les ont associés aux « enfants », ces plus petits, à l’image de qui le disciple doit se conformer pour atteindre le royaume des cieux (Mt 19, 13-15).
Le bleu du ciel et de la voûte de la chapelle a été réalisé avec le Lapis-Lazuli. Cette pierre fine réservée aux rois selon le nom sanskrit, était finement broyée pour en faire un pigment azur très utilisé dès l’Antiquité. Ce bleu pur prisé des iconographes byzantins, est la couleur de la transcendance par rapport au monde sensible terrestre. Il produit une impression de profondeur et de calme qui donne l’illusion d’un monde irréel.
Une foule suit le Christ dans sa marche, tous les personnages sont auréolés, on peut penser qu’il s’agit des disciples. Face à lui, devant la porte de la cité sainte, se tient une autre foule venue l’accueillir. Certains visages s’interrogent et manifestent de l’intérêt : « Qui est cet homme ? » (Mt 21, 10), tandis que d’autres retirent leur manteau pour en faire un tapis d’honneur pour le Roi… que chacun dans cette foule aura une bonne raison de renier.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit le Caravage, (extrait), 1609, Musée national de Messine. Crédits photo : domaine public
Méditation de Valérie Barbier, responsable de la Commission diocésaine d’Art Sacré de Toulouse :
La mise en scène théâtrale de ce tableau est typique de l’époque baroque à laquelle appartient le Caravage. Les personnages ont été traités de manière réaliste, notamment Lazare dont la blancheur cadavérique est saisissante. Il est porté par l’un des proches venus soutenir Marthe et Marie dans leur douleur, tandis qu’un autre tient encore la pierre du sépulcre. Le Christ debout face à lui, tend le bras et le désigne de l’index : ayant imploré son Père et, afin que la foule croit en lui, il crie d’une voix forte « Lazare vient dehors ! » (Jn 11, 41-43)
À l’instar des artistes de son temps, le Caravage a fait le choix de s’affranchir du modèle byzantin en représentant le mort libre de toute bandelette ; un simple linceul masque sa nudité. La position du corps, raidi, les bras en croix, ainsi que le mouvement de Marie de Béthanie penchée au-dessus du visage de son frère, sont similaires à certaines représentations de la déposition de croix du Christ où Marie, éplorée, se penche tendrement au-dessus du visage de son fils.
La main droite de Lazare, tendue paume largement ouverte, est déjà entrée dans la lumière qui émane du Christ, la vie revient en elle. Elle amorce un mouvement en direction de celle du Seigneur, à l’index fermement tendu, mouvement qui n’est pas sans nous rappeler, celui d’Adam vers son Créateur peint sur la voûte de la chapelle Sixtine par Michel-Ange un siècle plus tôt.
Marthe et Marie sont présentes près de leur frère. Marie est déjà dans la lumière qui émane du Christ tandis que Marthe reste en retrait dans la pénombre. Son chemin de foi n’est pas encore abouti, au fond d’elle-même subsiste toujours une part de doute « Seigneur il sent déjà ! », la mort a fait son œuvre (Jn 11, 21-27 et 39).
La foule qui assiste à la scène derrière le Christ, se tient dans la lumière. Sur les visages s’expriment toutes sortes de sentiments : interrogation, doute, peur… C’est l’image de l’Église mais aussi de nos interrogations, de nos doutes, de nos peurs… Au sein du groupe se tient un jeune homme barbu, les mains jointes. Il tourne son visage vers la source de lumière, c’est l’artiste lui-même qui s’est représenté-là, comme pour nous montrer le chemin…
Le Christ guérit l’aveugle, Le Greco, 1570, Musée de Dresde. © Wikimedia Commons
Méditation de Valérie Barbier, responsable de la Commission diocésaine d’Art Sacré de Toulouse :
Cette composition narrative de l’évangile de Jean nous montre le Christ guérissant l’aveugle-né. Celui-ci est représenté un genou à terre dans une posture d’humilité. Il s’abandonne en toute confiance aux soins salvateurs que lui prodigue le Christ. En arrière-plan sur la gauche, des personnages s’interrogent, ce sont les voisins : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » (Jn 9, 8). Tandis que d’autres, sur la droite, semblent plus soucieux, voire hostiles. Ce sont les Pharisiens qui eux, s’interrogent sur l’origine de Jésus : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » (Jn 9, 16)
Le Christ est en train d’appliquer de la boue sur les yeux de l’aveugle. Celle-ci et le geste qui l’accompagne nous renvoient à notre propre aveuglement lié au péché d’Adam que seule l’eau baptismale – symbolisée par la piscine de Siloé – peut réparer. La suite nous la connaissons : comme avec la Samaritaine, un dialogue s’instaure entre le Christ et le mendiant menant ce dernier vers un véritable chemin de foi. Un chemin de foi progressif et totalement en opposition à celui des Pharisiens qui refusent de reconnaître le Messie en Jésus.
En bas du tableau, on distingue la présence d’un chien et tout porte à croire qu’il s’apprête à dérober un sac négligemment abandonné-là. La présence de ce chien pourrait faire sourire si sa posture, le dos rond et la queue rabattue entre ses pattes, une posture propre à l’animal fourbe et voleur, n’était pas en fait une présence symbolique liée au mal, insérée volontairement par l’artiste. Malgré le handicap accusateur dont le mendiant est atteint : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9, 2), c’est bien vers les Pharisiens que le chien se tourne.
La scène tout entière et tous les personnages sont baignés de lumière, comme un témoignage de l’œuvre divine qui s’accomplit au grand jour par le Christ : « Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde » (Jn 9,4). La liturgie de ce quatrième dimanche de Carême, laetare, nous invite comme le proclame l’antienne eucharistique, à nous « réjouir ». Réjouissons-nous parce qu’autrefois, nous étions ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, nous sommes lumière. (Eph 5, 8)
Jésus et la Samaritaine, Étienne Parrocel, XVIIIe siècle, Musée des Beaux-Arts d’Ajaccio. Photo domaine public.
Méditation de Valérie Barbier, responsable de la Commission diocésaine d’Art Sacré de Toulouse :
Nous contemplons ici un homme et une femme dont la proximité et l’intensité du regard échangé témoignent d’une intimité profonde et font de nous les témoins d’une rencontre pourtant jugée scandaleuse : « Comment ! Toi, un juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » Cette femme, nous l’apprendrons plus tard, vit maritalement avec un homme mais Jésus a soif, un besoin vital qui l’incite à s’adresser à une exclue de la société pour lui quémander un peu d’eau. (Jn 4, 5-42)
Pourtant ! Si l’on regarde de plus près la scène, le Christ est vêtu de couleurs vives, la carnation de son visage est soutenue malgré les traits tirés par la fatigue du voyage. L’arbre, représenté derrière lui, est verdoyant et charnu. Il se tient, en contrebas d’une femme, la Samaritaine, belle mais à la peau diaphane, aux vêtements teintés de rares couleurs froides et ternes. Même le bois derrière elle est sec et porte les marques de la hache du charpentier. Cette femme tient fermement à la main une cruche destinée à recueillir l’eau qu’elle aura puisée. Son regard plonge directement dans les yeux implorants du Christ. Lequel des deux a le plus soif et de quelle eau vont-ils l’un et l’autre, se désaltérer ?
Le dialogue qui s’instaure entre le Christ et la femme nous indique qu’il ne faut pas se fier aux apparences : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
La rencontre se fait au bord d’un puits. L’on connaît l’importance du puits dans ces terres arides de Palestine. Il symbolise la source dont le latin fons, fontis, est à l’origine de la fontaine baptismale, car c’est bien de cette eau-là qu’il s’agit.
La présence bien en évidence de la cruche, ce vase qui servait autrefois à conserver l’eau précieuse puisée à la source, entre les mains de la Samaritaine nous invite à consommer nous-même en abondance de cette eau qui donne la vie éternelle. ‘Donne-moi à boire’.
La Transfiguration du Christ, œuvre de Pierre-Paul Rubens, 1605, Musée des Beaux-Arts, Nancy.
Méditation de Valérie Barbier, responsable de la Commission diocésaine d’Art Sacré de Toulouse :
Rubens, dans la lignée de Raphaël dont il s’est inspiré, a choisi d’intégrer deux épisodes complémentaires des évangiles dans la composition de son tableau.
Le registre supérieur tout baigné de lumière, représente le Christ transfiguré, le « visage brillant comme le soleil, les vêtements blancs comme la lumière » nous précise saint Matthieu. Il a pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, pour les emmener à l’écart, sur une haute montagne. Apparaissent Moïse et Élie qui s’entretiennent avec lui. Des cieux ouverts une voix se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! ». Saisis d’une grande crainte les disciples tombent face contre terre. (Mt 17, 1-9)
Au pied de la montagne, dans l’ombre, une foule assiste de loin à l’évènement. Nous apercevons à droite, un enfant vêtu de blanc. Ses yeux sont révulsés et de sa bouche tordue de douleur, s’échappe de l’écume. Des adultes, sa famille, peinent à le maintenir tant il se débat. Il s’agit de l’enfant possédé, atteint d’épilepsie, que Jésus guérira lorsqu’il aura rejoint la foule en bas de la montagne (Mt 17, 14-21). Les personnages situés face à l’enfant et ses parents, sont les disciples restés en bas de la montagne. Ils manifestent vivement leur impuissance à combattre le mal ; en privé, Jésus leur reprochera leur manque de foi.
La richesse de la composition, les attitudes des personnages, les effets dramatiques propres à l’art baroque, les dimensions mêmes de la toile, (4×6,7m) invitent le spectateur, c’est-à-dire nous-mêmes, à nous mêler à la foule au pied de la montagne. Qui sommes-nous ? Le possédé venu chercher le salut par le Christ ou le disciple qui manque désespérément de foi ? Peut-être un peu, aussi, cette femme à genoux au centre, qui, indifférente au tumulte ambiant, le visage transfiguré d’allégresse, regarde le Messie qui se révèle aux hommes dans sa gloire… Cette femme n’est autre que Marie-Madeleine.